novembre 29, 2018

Les Nations Unies mettent un frein au forçage génétique

Dans une décision qui fait date, la Convention sur la Diversité Biologique appelle les gouvernements à procéder à des évaluations strictes des risques et à obtenir le consentement des populations locales avant le lâché éventuel de la technologie «exterminatrice».

Les Amis de la Terre International et ETC groupe


29 novembre 2018, Sharm El Sheikh, Égypte : Aujourd'hui, l'ONU a pris une décision  internationale importante concernant la régulation d’une nouvelle technologie de génie génétique à haut risque : le forçage génétique[1] (gene drive, en anglais).

« Cette importante décision permet de contrôler le forçage génétique en faisant tout simplement preuve de bon sens.», explique Jim Thomas, co-directeur exécutif du groupe ETC. « Ne pas jouer avec l’environnement, les territoires et les droits des populations sans leur consentement. La technique du forçage génétique est poussée par de puissants intérêts militaires et agroalimentaires, et par quelques individus fortunés. Cette décision de l’ONU redonne le pouvoir aux communautés locales, en particulier aux peuples autochtones, de freiner cette technologie exterminatrice ».

La décision de la Convention sur la diversité biologique (voir encadré) exige également qu’une évaluation approfondie des risques soit effectuée avant la dissémination dans l’environnement d’organismes porteurs de forceurs génétiques. Comme la plupart des pays n’ont pas de système réglementaire couvrant cette technologie, de nouvelles normes de sécurité doivent être mises en place pour prévenir les potentiels effets néfastes. La décision reconnaît qu'il est nécessaire de mener davantage d'études et de recherches sur les effets du forçage génétique afin d'élaborer des directives permettant d'évaluer les organismes porteurs, et ce avant que leur dissémination ne soit envisagée[2].

«En Afrique, nous sommes tous potentiellement concernés et nous ne voulons pas être les cobayes de cette technologie exterminatrice», note Mariann Bassey-Orovwuje d’Amis de la Terre Afrique et présidente de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique. « Les agriculteurs ont déjà manifesté dans les rues du Burkina Faso pour protester contre les moustiques génétiquement modifiés et nous marcherons à nouveau si cette décision de l’ONU n’est pas prise en compte. Nous rappelons que les communautés ouest-africaines potentiellement affectées n’ont pas donné leur consentement ou leur approbation à cette technologie risquée. »

Cet accord, qui exige de rechercher et d’obtenir le consentement des communautés, peut avoir un impact immédiat sur le projet de forçage génétique le plus emblématique (et le mieux financé), mené par des chercheurs de l'Imperial College de Londres. Ce projet vise à relâcher des moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso comme étape préalable à la dissémination de moustiques porteurs de forceurs génétiques. Contrairement à ce que prétend le projet Target Malaria, les habitants des villages potentiellement concernés par ces lâchés de moustique n’ont ni été consultés, ni donné leur consentement.

Cette décision fait suite à une campagne menée par des centaines d'organisations et aux préoccupations exprimées par plusieurs gouvernements représentés à l'ONU qui avaient appelé à un moratoire sur la dissémination dans l'environnement de forceurs génétiques[3].

Cette décision internationale exige que les gouvernements demandent l’approbation des « peuples autochtones et des communautés locales potentiellement affectés » avant d’envisager la dissémination d’organismes porteurs de forceurs génétiques, y compris à titre expérimental. Le forçage génétique est conçu pour se propager à toute une espèce et sans limite géographique - une nouvelle caractéristique de cette forme d’ingénierie génétique. Dès lors, toute dissémination dans l'environnement pourrait potentiellement toucher des communautés bien au-delà de celles qui auront été consultées car vivant près du lieu de lâcher. Cette réalité qui impliquerait d’obtenir un consentement géographiquement bien plus large. Cette décision constitue un frein important au lâcher potentiel de forceurs génétiques. L’ONU justifie sa décision du fait de l’impact potentiel de la diffusion du forçage génétique sur  «les connaissances traditionnelles, l’innovation, les pratiques, les moyens de subsistance et l’utilisation de la terre et de l’eau» par les peuples autochtones et les communautés locales.

Selon Guy Kastler, représentant de La Via Campesina - un mouvement mondial représentant plus de 200 millions de paysans de 182 organisations dans 81 pays : «Les perspective associée à cette technologie présentent des risques sans précédent que nous ne pouvons accepter. L'ONU aurait dû décider d'un moratoire clair sur le forçage génétique. La Via Campesina appelle les paysans du monde à s’opposer dans tous les pays à la mise en œuvre de cette technologie, qui peut potentiellement exterminer nos cultures, nos animaux et d’autres éléments de la biodiversité essentiels à nos productions et à nos moyens de subsistance. »

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Personnes ressources :

  • Jim Thomas, Co-Directeur, ETC Group (Canada) +1 5145165759 
  • Dana Perls, directrice de campagne alimentation et agriculture, Friends of the Earth (US)
    WhatsApp +1(925)705-1074 
  • Mariann Bassey, Les Amis de la terre Afrique et Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (Nigeria)
    WhatsApp +2347034495940 
  • Silvia Ribeiro, ETC Group (Mexico),
  • Tom Wakeford, ETC Group (UK)
    WhatsApp +447966170713 
  •  Guy Kastler, La Via Campesina (France) 

Contacts presse:

  • Fiona Broom, Directrice des communications, Friends of the Earth International
    WhatsApp +44(0)7460771670 fionab@foei.org
  • Trudi Zundel, ETC Group,  WhatsApp +1 (226) 979-0993 trudi@etcgroup.org

 

Notes aux rédacteurs:


Des travaux de recherche communiqués cette semaine ont montré que les moustiques Anopheles (l'un des vecteurs du paludisme) peuvent fréquemment être déplacés sur de longues distances à travers le continent africain par les courants atmosphériques supérieurs[4]. Cela pourrait potentiellement élargir la zone géographique des peuples autochtones et des communautés locales « potentiellement affectés » à l’ensemble du continent.


La décision de l’ONU intervient au moment où les îles Caïmans ont décidé de mettre fin aux expérimentations portant sur des moustiques génétiquement modifiés. En effet, les populations de moustiques infectieux ont localement augmenté, et non diminué[5]. Les pays des Caraïbes étaient parmi ceux qui soutenaient un moratoire sur le forçage génétique.
Outre l’obligation de consentement, les conditions imposent la réalisation d’évaluations des risques et la mise en place de mesures de gestion des risques «afin d’éviter ou de réduire au minimum les effets négatifs potentiels».


La décision reconnaît qu'avant d’envisager la dissémination de ces organismes dans l'environnement, des recherches et des analyses supplémentaires sont nécessaires, et que l'ONU devrait élaborer des directives spécifiques afin d’évaluer les impacts potentiels sur la biodiversité et les communautés.


Il a été décidé que ces directives seraient élaborées dans le cadre d’un «groupe technique spécial d’experts de l’évaluation des risques», créé aujourd’hui dans le cadre d’une autre décision. Étant donné que l'élaboration de recommandations formelles concernant l'évaluation des risques devrait prendre plusieurs années, cette partie de la décision peut également constituer un frein supplémentaire à la dissémination d'organismes géniques.

 

 

Décisions prises aux Nations Unies le 29 novembre 2018

1. CBD / COP / 14 / L31 - Biologie synthétique[6]
Extrait:

9. Invite les Parties et les autres gouvernements, compte tenu des incertitudes actuelles concernant les forceurs génétiques, à appliquer une approche de précaution[7], conformément aux objectifs de la Convention, et invite également les Parties et les autres gouvernements à n’envisager d'introduire dans l'environnement des organismes modifiés et porteurs de forceurs génétiques, y compris à des fins de dissémination expérimentale et à des fins de recherche et de développement, que lorsque:


a) Des évaluations des risques au cas par cas et scientifiquement fondées ont été effectuées;
b) Des mesures de gestion des risques sont mises en place afin d’éviter ou de minimiser les effets néfastes potentiels, le cas échéant;
c) Le cas échéant, le “consentement préalable et éclairé”, le “consentement libre, préalable et éclairé” ou “l’approbation et la participation”[8] des peuples autochtones et des communautés locales potentiellement affectés sont recherchés ou obtenus, le cas échéant en fonction des circonstances nationales et législation;


10. reconnaît que, étant donné que des organismes modifiés en vue de porter des forceurs génétiques pourraient avoir des effets néfastes potentiels, il est nécessaire de mener des recherches et des analyses avant de considérer la dissémination de ces organismes dans l'environnement, et que des orientations spécifiques pourraient être utiles pour favoriser l’évaluation des risques au cas par cas[9];

2) Décision connexe sur l'évaluation des risques liés au forçage génétique
CBD / CP / MOP / 9 / L13 - Évaluation et gestion des risques[10]



[1] Le forçage génétique est une nouvelle technique de génie génétique conçue pour "pirater" les lois de transmission du patrimoine génétique par reproduction sexuée. Cette technique permet de forcer un nouveau gène à envahir des populations entières d'organismes – et potentiellement à éliminer des espèces entières.
 

[2]   Ces directives seront désormais élaborées par le biais d’un « groupe technique spécial d’experts de l’évaluation des risques », créé aujourd’hui en vertu d’une autre décision. Étant donné que l'élaboration de ces directives formelles risque de prendre plusieurs années, cela pourrait constituer un frein supplémentaire à la libération d'organismes porteurs de forceurs génétiques.
 

[7] Voir décision XIII / 17.

[8] Décision XIII / 18.

[9]   L'Organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques a recommandé que la Conférence des Parties siégeant en tant que Conférence des Parties au Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques (recommandation 22/2) examine le besoin de directives spécifiques sur l'évaluation des risques présentés par les organismes modifiés afin de porter des forceurs génétiques lors de sa dixième réunion.